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Le réalisme : un rêve inaccessible

Préambule

Le réalisme est dans toutes les bouches des gamers. A chaque nouvelle sortie on attend d’être époustouflé par les prouesses techniques en terme d’imagerie, mais aussi en termes de scénario et de gameplay. Il faut que les personnages soient beaux, que les lumières, l’histoire, les combats, et même tout le reste du jeu soit le plus proche possible du réel : ça facilite l’immersion, paraît-il1.

Alors qu’en vrai, un des jeux les plus réalistes qu’on pourrait inventer nous empêcherait certainement de revivre après un échec, même après redémarrage de la console. Et ça serait une grosse déception achetée en Early Access.

“Eh bah oui coco, fallait pas tomber dans ce trou dès le premier niveau, mainteant va tenter de te faire rembourser !”

Bref, beaucoup pensent que pour créer de l’empathie entre le joueur et le personnage, il faut créer quelque chose d’aussi proche possible de ce qu’il connait, donc le rendre le plus réaliste possible.

De nombreuses tentatives ont été menées, comme nous le rappellerons nostalgiquement les FMV, ces films interactifs : impossible de faire plus réaliste, on filme de vrais acteurs. Bon sauf que d’autres facteurs, soit limités par la console, soit directement par les actions à réaliser, nous rappellent qu’on ne guide pas un vrai humain dans ces surprenants déboires. Ce réalisme est la raison qui justifie le succès de FIFA face à PES : le jeu serait moins “arcade”. C’est aussi ce qui a su émouvoir2 bon nombre de joueurs dans Mass Effect Andromeda. Et pourtant, on peut retenir beaucoup de jeux d’aujourd’hui qui ne sont pas réalistes mais qui ont réussi à captiver les joueurs, les tenir en haleine et leur offrir une expérience mémorable (donc mission accomplie, je trouve, quand on est un jeu). On pourra citer Animal Crossing qui vient juste d’être annoncé, Dead by Daylight et Stardew Valley. Tant de titres qui ne cherchent pas à être réalistes, mais qui ont trouvé leur public. Alors me viennent ces questions : cherche-t-on, en tant que dev, à faire du réalisme ? et est-ce que le joueur en a vraiment besoin ?

Quelques réels problèmes

Je soulèverai un premier point à propos du réalisme : l’être humain n’aime pas trop ça. Si c’est proche de ce qu’il connait, mais que ça n’en a pas les défauts, notre cerveau nous fait remarquer que c’est un petit peu bizarre. On rentre dans ce qu’on appelle “la vallée de l’étrange” et c’est très bien décrit par Elie Lou3. De plus, le joueur doit être en mesure de comprendre ce qu’il fait, et ne pas non plus berner son esprit trop fortement (notamment pour le besoin de dissocier ce qui est réel de ce qui ne l’est pas) : ainsi malgré toute la volonté que l’on voudra impliquer dans cette démarche, on devra sans cesse rappeler au joueur qu’il joue effectivement à un jeu, sur lequel il a au moins partiellement le contrôle.

Je rajouterai à cette explication une anecdote. On a demandé à un militaire de carrière de créer le concept de jeu de guerre le plus réaliste au monde, mais qui doit se jouer le plus simplement possible. Sa réponse a été la suivante : vous marchez, peut être pendant des heures, dans la forêt, et à un moment l’écran devient noir. Et c’est tout, ensuite impossible de relancer le jeu. Cela vient de ses expériences passées, pendant lesquelles, alors qu’il entendait des tirs traverser la végétation, il se mettait à paniquer. Son chef le rassurait alors en lui disant : “T’en fais pas, ce n’est pas pour nous. Tant que tu vois encore devant toi, c’est que tu ne crains rien”. Et oui, peu survivent aux cartouches. Vous comprenez alors que ce jeu est d’une justesse en terme de réalisme assez convaincante. On croirait lire le synopsis d’un jeu du célèbre studio Quantic Dream4. Mais sérieusement, vous seriez emballé de jouer à un jeu à obsolescence programmée ? On en revient à ce que je disais au début. Avec ces exemples j’espère que vous voyez où je veux en venir à propos du caractère inaccessible de ce réalisme parfait : il n’y a rien de palpitant à intégrer la vraie vie dans un jeu.

Le néoréalisme

Maintenant que tout cela est dit, si nous ne pouvons pas chercher le réalisme, il nous faut alors un autre fer de lance. C’est la CRÉ DI BI LI TÉ.

Quelle différence avec le réalisme ?

Et bien que nous n’avons pas besoin de nous accrocher au réel. Mais on peut faire au moins semblant5. Un jeu crédible, dans les émotions qu’il essaie de provoquer, dans son ambiance, va se baser sur des règles établies dans son univers, la diégèse, pour nous faire croire que tout ce que l’on y fait est possible et normal. On a la même chose pour les films. Et il est nécessaire que le joueur croit en l’univers du jeu, car ce qu’on va lui demander de faire est toujours absurde et/ou irréaliste. Le fait que le joueur croit aux règles de la diégèse d’un jeu lui permet de rester concentré sur cet univers fictif et ne cherche pas à transposer ce qui arrive dans la vie réelle. Et c’est cette cohérence qui va rendre le jeu logique dans les interactions en son propre sein, mais aussi entre lui et le joueur : même si l’action dans la vraie vie serait plus ou moins impossible (genre déclencher une vitesse lumière), dans le jeu ça fonctionne et le joueur y croit. Et c’est ça le plus important : croire que ce que l’on fait est possible, dans le jeu, et non pas être sûr qu’il est reproductible dans la réalité. C’est crucial car si on faisait ça à chaque fois, on ne saurait apprécier pleinement l’expérience que l’on nous propose.

Petite anecdote sur le développement de jeux : il fut un temps où les ennemis étaient très très méchants et nous tiraient dans le dos. Logique (réaliste !) me direz-vous, sauf que c’est horrible quand on est face à une machine de se faire avoir par derrière, dans un endroit où notre compétence dans le jeu est prise en défaut. Donc les développeurs ont mis au point un algorithme qui empêche les ennemis de vous tirer dans le dos. Cette technique est notamment utilisée par les speed-runners pour passer les niveaux sans mourir. Ils courent en arrière pendant tout le jeu.

Et je vais rajouter à cela un exemple de choix, ni complètement réaliste, ni complètement farfelu : Uncharted. Vous incarnez un beau brun qui part chercher un trésor perdu dans l’Himalaya : ça c’est le côté réaliste. Un vrai mec dans une vraie montagne. Vous faites aussi des bonds de plusieurs mètres entre deux briques glissantes pour escalader la façade d’un bâtiment : ça… c’est la partie qui a pris quelques libertés avec les lois de la physique. Et j’aime énormément Uncharted, car l’ambiance de ce jeu est vraiment magique, on a envie de vivre tout ça et de détruire des millénaires de civilisation en tirant à la dynamite dans des rochers.

Conclusion

Tout ce tintamare textuel pour dire quoi finalement ?

Et bien deux choses. Premièrement, que j’ai l’impression que cette volonté de réalisme a cassé quelque chose dans l’imaginaire que tente de créer un jeu : le fait que les personnages soient physiquement très proches de nous fait que l’on tolère moins les énormes aberrations que nous proposent parfois certains titres. Enfin, un jeu n’a pas besoin d’être un documentaire ou un film, car un jeu est une expérience vivante, interactive, que va traverser le joueur. Ainsi les approximations historiques et les malformations involontaires de certains personnages n’empêcheront pas de faire passer un moment agréable et divertissant. Il ne faut pas croire ceux qui viennent prétendre détenir la vérité6 et renouveler l’expérience en étant d’une justesse implacable. Un joueur vous suivra dans toutes les situations si vous restez en accord avec les règles que vous établissez. Ainsi il pourra accomplir sa destinée dans ce monde parallèle et sa réussite sera alors gratifiante.

PS : je ne parle pas des jeux de simulation, dont le but est de facto de créer du réel.

Relecture : WingedAileen