Salut à tou·te·s, En ce moment je vois pas mal de choses passer sur la vie d’indépendant, que ce soit la @DevDimanche1 ou le débat de Sophia Chikirou2 dans On est pas couché. Clairement y’a des mises au point à faire et des clichés à faire tomber. Voici un petit recap’ de ma vision de la vie d’indépendant.
Les rêves brisés
Devenir son propre patron, ça en inspire plus d’un, surtout dans ces moments où les dirigeants n’ont pas la côte et où le travail se fait rare. Ca évoque aussi la liberté, le fait de pouvoir faire tous les choix et d’être le seul responsable. Être le maître de tout : ses horaires, ses tarifs, gérer sa petite activité comme on le souhaite. On a envie de faire mieux que les autres, de dépasser nos expériences précédentes en corrigeant tous leurs travers pour accéder au succès escompté. Les choses sont elles si simples ? Est-ce qu’un service de baguettes magiques est offert avec le colis ? Je ne pense pas. L’indépendance n’est pas le monde libre que l’on s’imagine. Cette liberté à un coût, financier et humain et c’est bien ce que je compte décrire ici. Ca va peut être désengager certains dans leur volonté d’accéder à cette supposée liberté mais je ne reste pas moins convaincu que faire cette prévention évitera à plusieurs de ceux qui me liront de se casser le nez face à tous ces imprévus qui pourraient survenir pendant votre aventure.
La définition de l’indépendance
Être indépendant, cela signifie que toutes les responsabilités qu’incombe une entreprise se tiennent sur nos épaules : la paperasse (impôts, côtisations, salaires pour ceux qui ont le luxe d’embaucher) le qualité de votre offre (si ça ne se vend pas, ce sera directement vous qui serez incriminés, l’inverse, plus agréable, est aussi vrai) la gestion de la clientèle Ca c’est ce qu’on voit quand on imagine un business, quand on quitte la masse salariale : on cherche à innover, à développer un produit innovant qui satisfera plus de clients que les autres et on veut poser nos règles, notre gestion. Seulement voilà, être indépendant, qui plus est être seul dans son entreprise (auto-entrepreneur en gros) ça veut aussi dire assumer TOUS les métiers qui englobent la vente d’un produit. Alors certes j’utilise ici le language des entrepreneurs, mais ça vaut pour tous, que vous soyez journaliste, artiste ou réparateur de machine à laver, vous allez devoir faire plus que votre métier seul. Et c’est là que votre liberté en prend un coup.
S’enfermer dans la liberté
Si vous regardez les coûts de réalisation d’un produit, du serrurier au jeu vidéo, vous constaterez quelque chose de surprenant : l’argent investi ne correspond pas à celui misé uniquement sur la conception et le développement, mais seulement à la moitié. L’autre partie est engloutie dans la communication. Les conséquences sont alors terribles pour les indépendants, car cela signifie que malgré tout l’investissement que vous pouvez consacrer dans votre projet pour qu’il soit de qualité, si vous ne consacrez pas aussi du temps à la promotion de celui-ci, vous n’aurez personne à la fin pour l’acheter. Le créateur se trouve donc, en plus de son propre métier, à devoir gérer plusieurs nouveux aspects :
- la promotion (pub, partenariats, salons…)
- la gestion de la communauté (Twitter, Discord)
- faire de la prospection (recontrer des investisseurs, trouver des moyens de financement)
Ce qui demandent évidemment du temps. Or quand on est tout seul à devoir gérer tout ça, nos vingt-quatres heures quotidiennes semblent peu suffisantes pour réussir à exécuter toutes ces tâches. On se retrouve alors vite dépassé et faire l’équilibre entre avancer sur son projet et gérer les “à côtés” (qui sont pourtant, comme je le disait, 50% de la réussite de celui-ci) forment un dilemme.
On se voit contraint à devoir se spécialiser dans des corps d’activité qui ne sont pas les notres (on ne nait pas tous Community Manager). Ca peut engendrer des ratés, ça peut malmener le projet d’origine, voir le faire sombrer définitivement (cela arrive aussi chez les grands groupes alors imaginez pour nous alors que nous ne sommes pas spécialiste) et surtout cela provoque du stress, une sensation de dépendance car on fait tout ça en partie par nécessité, cela peut alors amener à une baisse de motivation. Alors sommes nous vraiment libres ? Le tableau s’assombrit.
Les salariés, les vrais personnes libres ?
Comparons quelques points qui différencient la vie d’entreprise de celle d’indépendant :
- salaire fixe à heure fixe
- différents avantages (Chèques déjeuner, CE, primes…)
- l’assurance de garder son emploi sur une durée assez longue (à moins de malchance, mais globalement si vous rentrez dans une entreprise, vous ne vous imaginez pas couler 3 mois plus tard)
Mentalement, c’est très rassurant : on à une maitrise de sa vie beaucoup plus limpide. Autant vous dire que vous pouvez oublier tout cela quand vous partez à l’aventure. Alors est-ce que ce n’est finalement pas ça la liberté ? Se dire que certes on a un patron, mais qu’en même temps tout est planifiable et régulier ? On est certes pas maître de tout, mais on reste dans le contrôle de ce qui est à notre portée. On ne nous demande ni plus ni moins de faire ce pour quoi on a été embauché et c’est tout. (note : je parle d’une situation vivable, pas des cas qui craignent avec des patrons esclavagistes)
Quand les autres nous brûlent les ailes
Les fervents défenseurs de cette indépendance mettront toute leur âme dans leur projet. Et pour certains cela finira par payer. Et ce n’est pas une bonne chose. Alors c’est clair, on va pouvoir me reprocher d’être hyper pessimiste, et pourtant je ne fait que vous relater des évènements que je vois. Être travailleur indépendant dans l’imaginaire collectif c’est :
- être payé des fortunes en ne faisant rien (i.e. être vidéaste sur Youtube)
- être un artiste anti-système
Dans le premier cas, il faut bien se rendre compte que derrière “ne rien faire” se cache 40h de travail hebdomadaire. Dans le deuxième, le fait d’avoir cette image là auprès des gens fait que si vous avez la chance de finalement vivre de vos projets, vous devenez un produit du système. Vous êtes commercial (et donc décevant). Ce que le public a du mal à concevoir là dedans, c’est qu’on ne peut pas réussir en étant totalement à l’écart du système qu’il favorise. Si on se marginalise trop, on incite personne à nous rejoindre car personne ne peut se projeter dans ce qu’on réalise (on rentre dans la fameuse case “Alien”). C’est dommage mais c’est comme ça que cela marche. Notre indépendance doit forcément à un moment se plier aux règles du système dans lequel elle subsiste. Or cela va se poser en décalage avec notre mode de fonctionnement, celui qui fait que les gens nous suivent. Cela étant, il faut réussir à faire passer la pilule : cela est nécessaire pour notre survie. Car soyons clair : réussir une fois à sortir la tête de l’eau ne nous garanti pas d’atteindre la rive et de se mettre au sec. Il faut réussir à conserver une méthode qui nous permet de continuellement rester hors de danger. Et cela implique forcément de se confondre avec ce à quoi le plus commun des mortels est habitué : de la publicité plus ou moins aggressive, du sensationnalisme et une présence forte et régulière. Cela ne veut pas dire que cela doit empiéter sur la qualité, qui doit toujours rester le maître mot de tout projet, en tout cas si vous voulez fédérer une audience. Mais il faut bien garder à l’esprit que quoi qu’il en soit vous aurez toujours un pied dans le système, et qu’on vous en voudra pour ça.
Pourquoi tout abandonner ?
En résumé, être indépendant c’est se lever contre le système, vouloir faire les choses soi-même, en travaillant plus longtemps que la majorité, en ayant une situation instable, dangeureuse, qui peut mettre à mal notre vie perso, qui peut nous déprimer, et qui peut en plus altérer notre image publique et la dégrader. Alors pourquoi faire ce choix ? Pourquoi abandonner un travail stable et qui nous cause potentiellement moins de soucis ? La réponse est évidente : parce que c’est vraiment génial. Être indépendant c’est être le seul maître à bord, c’est se confronter à diverses réalités, à devoir gérer des tempêtes et des mers d’huiles, et ne jamais savoir de quoi sera fait notre lendemain. J’aime ce que je fais de manière viscérale, j’aime finir tard dans la nuit des trucs et que le lendemain les gens viennent me dire que c’est cool, que ça a du bon. J’aime discuter avec ceux qui me suivent, trouver des solutions ensemble pour qu’on soit tous acteurs dans cette aventure. Je n’ai jamais fait autant de belles rencontres que depuis que je m’implique à fond dans ce que je fais, des soutiens de la part d’autres créateurs qui me poussent à continuer malgré les galères. Je fais aussi de mon mieux pour qu’on se serre tous les coudes et qu’on reste tous dans la barque pour atteindre tous la terre de pied ferme. Bref, j’ai choisi cette vie pleine de contraintes mais je ne serai jamais plus content que de devoir faire les choses par moi même, en fonction de ce que j’ai décidé, et d’en tirer les conséquences. Le jour où je serai moi aussi revenu dans le moule de notre société pour vivre de ce que je fais, on m’en voudra et je m’en ficherai car j’aurai toujours ceux qui me comprennent derrière moi pour m’épauler. Et tant que je peux, je continuerai de rester dans la marge pour créer ma vie à ma façon, librement.
Je vous attend sur Twitter, Discord ou dans les commentaires pour discuter de tout ça, merci pour votre lecture assidue.
Relecture : manuxviii